Dans quel état d’esprit êtes vous aujourd’hui et comment gérez vous votre retour de ce championnat du monde paravoile ?

Ange Margaron : je ne suis pas totalement redescendu de mon nuage c’est tellement énorme. Je n’arrive pas à y croire, avec aussi peu de pression sur la compétition… C’est énorme. Il y a eu des moments de pression sur les phases de départ et les bords de près. Olivier me demandait tellement d’infos alors que j’étais en train de réfléchir en même temps au prochain coup que j’allais faire pour pouvoir passer devant…

Olivier Ducruix : on passe par différentes phases, ce n’est pas facile de redescendre comme dit Ange. C’est très beau… Il y a tellement de gens qui nous laissent des messages ça fait super plaisir et c’est là que tu te rends compte que tu as fait un truc un peu extraordinaire ! Ça fait plaisir et en même temps je me dis des fois que c’est trop. Il faut revenir à la vie normale un jour. On peut résumer en disant c’est fort, avec des émotions toutes positives, mais parfois des moments où tu te dis que c’est trop.

Gilles Guyon : je suis comme eux, j’étais sur un nuage, et quand on fait le bilan on se dit qu’on a bossé pendant 2 ans pour ça. Comme disait Olivier tous ces moments ont été partagés et suivis par beaucoup de monde. Les gens qui ont vécu les courses en direct, nous ça nous a mis des frissons, des émotions énormes. On se remet tout de suite dans le bain, on est rentré vendredi et j’avais des cours samedi matin. C’était difficile de se remettre dedans (rires). On repart tout de suite sur d’autres projets : stage blind sailing, championnat Suisse, mondiaux Hansa à Portimao en octobre. Maintenant le challenge c’est d’avoir deux médailles !

Sur votre préparation et plus particulièrement celle de ce championnat du monde, avez-vous mis en place des choses inédites et qui ont été décisives selon vous ?

Olivier Ducruix : tout ça ce n’est que le résultat, mais le projet a été initié il y a 2 ans, Pierre Gins (de l’association Mare Inseme, ndlr), nous a permis de nous rencontrer en Corse et on a décidé qu’on constituait l’équipage. On s’est donné les moyens et d’entrée de jeu on a décidé que l’objectif c’était La Haye, on l’a toujours dit. Un événement mondial inédit, en inclusion avec les valides. Pierre a initié le truc car il connaît super bien le RS venture. Gillou a tout de suite suivi le projet. A Oman (Championnat du monde RS Venture en 2022, ndlr) on a appris. On a vu où était nos points faibles. Durant le raid liberty (traversée du Léman en 2023, ndlr), la navigation en solo a été un vrai challenge partagé avec Ange et Gillou, c’est une aventure qui nous a encore plus soudé avec Ange. On a créé cette année une sorte d’osmose grâce au travail d’Isabelle Gorioux, j’ai compris ce qu’Ange attendait de moi.

Ange derrière Olivier qui est assis. Ange a les  bras posés sur les épaules d’Olivier

J’ai toujours considéré que Ange était un super régatier donc je me disais : je ne vais pas le déranger, je vais faire mon job sans plus. J’ai compris cette année qu’Ange attendais plus de moi. Mes sensations, des « check » réguliers… Chacun a trouvé sa place et ça a enlevé de la pression à Ange. On a parfois fait des trucs fastidieux durant les entraînements mais le maître mot est resté le plaisir. Sentir et faire glisser le bateau.

Ange Margaron : même si ça faisait 2 ans que j’attendais cette compétition, je n’avais pas pris autant de plaisir depuis 2017. Gillou m’a embauché à la base nautique de Sciez et pouvoir s’entrainer et travailler au même endroit, c’est juste magique. Avoir Olivier à côté c’est magique. Gillou m’a donné la chance de faire un travail mental avec Isabelle, ça m’a beaucoup aidé, j’ai beaucoup appliqué ce travail sur le championnat. Avec Olivier maintenant on a un rituel. Je sais ce qu’il attend de moi, et il sait ce que j’attends de lui. Il ne voit pas mais il fait des choses sur le bateau, je ne suis pas seul, c’est mon plus grand bonheur. 

Gilles Guyon : on a fait un bilan derrière Oman. On a vu des détails qu’on voulait travailler sur l’eau et d’autres à caractère psychologiques. On ne sait pas tout faire et on a eu besoin de professionnels autres que nous, techniciens de la voile, pour pouvoir aider l’équipage. Isabelle a travaillé avec eux pour qu’ils puissent se libérer. On a enlevé tout le stress. Tout comme Barnes Léman qui a financé le bateau, Isabelle a fait partie des travailleurs de l’ombre. 

Ange Margaron : elle a déclenché un travail personnel qui m’aide à enlever les mauvaises idées de la tête et à aller de l’avant. Il y a eu un esprit d’équipe sur le bateau. Gillou ne nous a pas mis de pression parce qu’il connaît ses coureurs et le travail qui a été fait en amont. Il nous fait totalement confiance. Je n’avais jamais trouvé ça auparavant entre un équipage et un entraîneur. 

Gilles Guyon : après avoir bossé avec eux pendant 2 ans c’est plus facile d’aller sur un championnat parce que tu connais tout d’eux. 

Olivier Ducruix : dans la préparation avec Isabelle il y avait des choses personnelles c’était très bien, elle nous a donné des clés pour notre préparation. Grâce à la confiance acquise, on a choisi de ne pas faire notre dernier entraînement… A la place, on s’est ressourcé avec Ange chez moi, dans le Beaujolais. On s’est reposé, on a marché. On a pris le temps de regarder les instructions de courses et la liste des concurrents, et tout ça on l’a fait 15 jours avant la compétition. On est parti confiant, tout en sachant que ce n’était pas gagné.

Y’a-t-il des pays avec qui vous avez particulièrement bataillé ? Avez-vous créé du lien avec des équipages étrangers ?

Olivier Ducruix : au fil du championnat on a créé des liens car les gens venaient nous féliciter et discuter. Les équipages Grecs, Portugais, Canadiens, respectivement 2ème, 3ème et 4ème à Oman étaient les mêmes. On avait moins vu l’Espagne. On connaissait bien les Suisses car on s’entraînait avec eux, on savait qu’ils avaient progressé grâce à Gillou (rires). On savait qu’il y avait un match avec toutes ces nations. On n’attendait pas l’Espagne à ce niveau-là, l’équipage Turc aussi est hyper prometteur.

Gilles Guyon : pour moi c’est difficile parce que je ne parle pas bien anglais, mais il y a des liens avec les entraîneurs et coureurs. Notamment suite à des interventions sur l’eau ou des stages qu’on a partagé.

Avez-vous déjà mesuré les retombées de ce résultat ?

Gilles Guyon : à la fin du championnat plusieurs nations sont venues nous demander de venir s’entraîner à Sciez. Il y aura sans doute un travail à venir avec d’autres nations Européennes.

Ange Margaron : au vu de notre différence de performance entre Oman et La Haye, je m’y attendais un peu. Il y a une demande pour créer un noyau ici à Sciez autour du RS Venture, et ça fait plaisir !

Le RS Venture de la Base Nautique de Sciez est à ce jour le seul de la région, que pouvez-vous nous dire sur ce bateau ?

Olivier Ducruix : c’est un bateau hyper fun, même si il est assez lourd. Pour moi, en tant qu’équipier non voyant, ce qui est génial c’est qu’il y a vraiment beaucoup de boulot. J’ai un rôle très actif. Tout le travail du binôme est nécessaire dès 10 à 12 nœuds de vent. L’envoi du spi asymétrique, tout le travail sous le vent est super fun dès qu’il y a un peu de vent. Il y a beaucoup de discussions avec Ange pour trouver les bons angles au portant, en exploitant les ressentis. Pour moi c’est un bateau où je m’éclate.

Ange et Olivier à bord du RS Venture. Ils agitent à deux le drapeau Français.

Ange Margaron : c’est un bateau très fun. En faisant les bons choix techniques, tu peux vraiment t’éclater en régate. En termes de réglage, en termes de sensations… Entre les concurrents, il y a différentes façons de naviguer. Nous, je pense qu’on a trouvé notre bon équilibre. Dans le vent ce bateau n’est pas facile, mais quand tu as trouvé le bon truc pour le faire avancer, tu vas super vite. Pour moi c’est magique de voir Olivier travailler sur le bateau parce qu’il est autonome. Je n’ai plus rien à lui dire. Au près comme au portant, il nous suffit d’un mot pour communiquer. Le plus intéressant c’est au portant car c’est Olivier qui barre le mieux le bateau. Si je n’avais pas été avec Olivier on n’aurait pas été aussi performant que ça.

Gilles Guyon : c’est un bateau lourd, qu’il faut faire avancer, mais il y a des belles sensations dessus. Par rapport aux anciennes séries paralympiques pas forcément à la portée de tous, le RS Venture permet de faire de la compétition à haut niveau, tout comme de l’initiation avec tous types de handicap. Même quand tu n’as jamais fait de bateau, tu peux démarrer là-dessus et aller très loin avec, c’est génial. Maintenant il en faut plusieurs, il ne faut pas qu’un seul bateau isolé. Les moyens nécessaires sont quand même importants car ce sont de gros bateaux.

Avez-vous des anecdotes à partager, des choses que vous avez gardé pour vous pendant la compétition ?

Olivier Ducruix : on ne leur a pas dit que j’étais non voyant ! (rires). Bernard Porte (responsable des pratiques voile handivalide à la FFVoile, ndlr) nous a amené la chanson de Baloo tous les matins, ça nous mettait bien dans l’ambiance ! On a nos petits secrets, des choses qu’Isabelle nous a proposé et qui nous mettaient la banane car ça nous ramenait tout de suite à Sciez, et au travail effectué la bas.

Ange Margaron : le premier jour d’entraînement on a vraiment eu peur avec Gillou, surtout lui, parce qu’il a retrouvé un mauvais côté de moi… Et là Gillou m’a mis une claque, façon de parler, parce qu’il a été ferme et j’ai adoré parce que je me suis tout de suite repris.

Gilles Guyon : il fallait qu’il revienne dans une position positive après un incident technique sur le bateau. Il a fallu reprendre toutes les étapes… Un championnat peut s’arrêter sur ce type d’incident et mon rôle à ce moment a été de lui rappeler le travail qui avait été fait en amont, pour repartir dans du positif. 

Ange Margaron : s’il n’y avait pas eu Gillou à ce moment-là ça n’aurait pas marché de la même façon.

Olivier Ducruix : le rôle de Gillou est primordial. C’est grâce à notre relation qui s’est construite sur plusieurs années. Je dis souvent qu’on vit des aventures extraordinaires, avec des amis extraordinaires. Que ça marche ou pas, tu reviens toujours en ayant vécu quelque chose de fort. Gilles Pariat (Président de la classe Hansa, ndlr) a souvent cette citation empruntée à Nelson Mandela : « soit je gagne, soit j’apprends ». Le premier jour on gagne deux courses, mais on fait deux départs pas terribles. Gillou a bien mis en évidence ce point et est revenu en détail dessus avec nous. Pour moi cela a été déterminant pour la suite.

Y a-t-il d’autres points que vous souhaitez nous partager ?

Olivier Ducruix : j’aime bien dire que les astres étaient alignés pour nous durant cette compétition… Même les petites galères qu’on a eues sont arrivées au bon moment sans trop nous pénaliser. Ça c’est des fois joué à rien. Sur le dernier envoi de spi, il y avait un nœud sur la drisse, j’ai mis une éternité pour le défaire. Je me disais allez Oliv, c’est le nœud le plus important de ta vie il faut le défaire ! Après avoir réussi, Ange m’a informé qu’aucun bateau ne nous avait dépassé, cela a décuplé le bonheur qu’on a ressenti en passant à la ligne. Même cette petite galère a décuplé notre satisfaction. 

Gilles Guyon : la cérémonie d’ouverture avec les valides, c’était extraordinaire ! Quelques nations ont fait monter des personnes en situation de handicap pour représenter toute l’équipe de leur pays. Cette intégration des coureurs handis parmi les valides ça fait vraiment plaisir.

Olivier Ducruix : c’était la première fois et c’était génial.

Gilles Guyon : la remise des prix par le Président de world sailing a été un super moment !

Ange Margaron : pourquoi pas un jour un championnat de France avec les valides, ce serait un exemple fabuleux…

Pour revisionner le live de la cérémonie organisée par la BN Sciez le 29 août 2023, cliquez sur la photo ci dessus.

Interview : Jérôme Pruvot. Base Nautique de Sciez le 30 aout 2023

Photo de couverture : en fond, des RS Venture en course à La Haye. De gauche à droite : Ange Margaron et Olivier Ducruix, médailles autour du cou, Thomas Vantorre, président de Barnes Léman, mécène du projet et Gilles Guyon, entraineur et chef de base à la BN Sciez